Brouillage générationnel
Document 1
Ne mange pas avec tes doigts ! Tu as eu les yeux plus gros que le ventre. Mets ta serviette ! Ferme ta bouche en mangeant ! Vue sous cet angle, la socialisation ressemble beaucoup à un dressage. "Tu manges comme un cochon !", remarque désabusée qui manifeste comment l'animal tapi derrière la barrière des bonnes manières resurgit vite. Une lutte de tous les instants est nécessaire. "On n'est pas des sauvages." Des siècles de civilités balayés en un instant par l'enfant qui saisit sa viande avec ses mains. Peu importe à ce stade, que les "bonnes" façons de se tenir à table changent avec les époques et les pays ; l'essentiel est de marquer l'appartenance à une communauté. Par contraste avec cette série d'ordres et d'interdictions livrée spontanément, et qui éveille des échos en chacun d'entre nous, les discours de parents montrent le désir de minimiser l'aspect autoritaire de cet apprentissage. Les mères proclament à la fois la continuité morale avec leur propre famille d'origine par la fidélité à certains principes minimaux et un changement fondamental marqué par l'affaiblissement des exigences mais surtout de leurs modalités d'imposition. La diminution du nombre des obligations imposées à l'enfant témoignerait du passage d'un code de bonnes manières arbitrairement édicté, et donc rigide, à un savoir-faire, voire un savoir-être, construit autour d'un petit nombre de principes "naturellement" partagés par toute personne "raisonnable". On assure aller à l'essentiel, au-delà d'un formalisme des bonnes manières associé à l'idée de distinction entre classes.
Claude Zaidman "Manières de table", La Politesse - revue Autrement, n° 2, 1991 (coll. Morales).
Document 2
Aux yeux de ses adversaires, le savoir-vivre représente une contrainte d'autant plus insupportable qu'elle semble