Bronislaw Malinowski
Conditions propres au travail ethnographique
Elles consistent surtout, nous venons de le dire, à se couper de la société des Blancs et à rester le plus possible en contact étroit avec les indigènes, ce qui ne peut se faire que si l’on parvient à camper dans leurs villages. Il est très agréable, pour les provisions, de disposer d’un pied-à-terre chez un résident blanc et de savoir qu’on y trouvera refuge en cas de maladie ou de lassitude de la vie indigène. Mais il doit se trouver suffisamment éloigné pour ne pas devenir un milieu où l’on vit en permanence et dont on ne sort qu’à des heures bien déterminées pour « faire le village ». Il ne sera même pas assez proche pour qu’on puisse y aller à tout instant pour se détendre. Car l’indigène n’est pas un compagnon normal pour le Blanc, et après avoir travaillé avec lui plusieurs heures durant, regardé comment il cultive ses jardins, écouté le récit de quelque fait folklorique, discuté de ses coutumes, vous avez une grande envie, bien naturelle, de retrouver un de vos semblables. Mais puisque vous ne pouvez satisfaire ce désir du fait de votre isolement, vous partez pour une promenade d’une heure ou deux, et au retour, vous recherchez tout normalement la société des indigènes, comme vous rechercheriez n’importe quelle présence amie, pour pallier la solitude. Et par ces relations naturelles qui se trouvent ainsi créées, vous apprenez à connaître votre entourage, à vous familiariser avec ses mœurs et ses croyances, cent fois mieux que si vous vous en rapportiez à un informateur rétribué et dont les Comptes rendus manquent souvent d’intérêt. Là réside toute la différence entre des apparitions de temps à autre au milieu des indigènes et un contact réel avec eux. Qu’entendre par ce dernier terme? Pour l’ethnographe, cela signifie que sa vie au village, qui est d’abord une aventure étrange, quelquefois désagréable, quelquefois