Benjamin constant
En son langage souverain où chaque terme a le poids de la vérité substantielle qu’il exprime, la magistrale sentence de Bossuet fixe la condition du juste au sein du monde, – et l’honneur de Benjamin Constant, c’est que pareil texte se présente et même s’impose à l’esprit au seuil du thème qui nous sollicite. Certes le juste tel que l’entend Bossuet, c’est le juste selon Dieu, et seul Celui qui sait « le secret des coeurs » sait si, en cette acception, Benjamin Constant mérite le titre ; – certes souvent Constant fut le jouet de « ses propres passions » : en proie à la dernière et à la plus violente d’entre elles, à la passion pour Juliette Récamier, n’inscrivait-il pas dans son Journal : « Hélas ! cela ne passe point et cette affreuse fièvre de passion qui ne m’est que trop connue m’a envahi et me domine entièrement. Le travail, la politique, la littérature, tout est fini. Le règne de Juliette commence », et jusqu’à sa cinquantième année il avait dû apprendre, ainsi qu’il le dit ailleurs, à « dormir dans une barque battue des vagues ». Et pourtant, sur les trois plans rien qu’humains mais humainement essentiels de la psychologie, de l’introspection et de l’éthique, Benjamin Constant est un juste, et un juste si « sévère à lui-même » qu’irréprochable dans sa justice à l’égard d’autrui, à force de sévérité envers soi il a tracé de lui-même dans Adolphe à la fois le plus ressemblant et le moins ressemblant des portraits, le plus ressemblant quant aux défauts, le moins ressemblant par le silence observé quant aux qualités, et comme toujours le monde l’a pris au mot et pendant un siècle n’a jugé Constant que sur Adolphe ; et de même, si, dans la zone des actes, Constant céda à ses