Beaudelais
Mais l’adresse est assez insistante, le questionnement assez répétitif pour laisser entendre l’un des enjeux pathétiques d’Alcools : la quête de l’autre. Le dialogue ne s’installe pas : il est troublé : les questions et les invocations restent sans réponse. L’univers de références du texte est lui aussi incertain, très flou… Cependant, les lecteurs érudits et attentifs [3] ont pu observer dans cet apparent désordre nombre d’éléments qui renvoient à des détails précis de la vie d’Apollinaire : évocation de son voyage au Luxembourg, de sa vie au Vésinet, le détail de la « chaîne de fer » (Apollinaire portait depuis son enfance une chaîne ornée de médailles pieuses), le couple de matelots habillés de bleu et de blanc comme Guillaume et son frère portant des costumes marins…
Mélange donc d’autobiographie cachée, de fiction, de chanson d’ivresse triste… Le souvenir y prend une valeur « transindividuelle ». On pourrait presque parler de « mondialisation » du moi. Apollinaire prend soin de maintenir un flottement référentiel, énonciatif, qualitatif… Ainsi les adjectifs ne cernent-ils pas le substantif auquel ils s’appliquent (exemple « femmes sombres » : tristes, liées à la nuit, prostituées, noires de peau, voilées par l’obscurité du souvenir – ou « auberge triste » ainsi qualifiée par hypallage, tout comme « troupeau plaintif des paysages »…
Ces imprécisions favorisent le désancrage : le sujet paraît se laisser emporter au fil de l’eau et du temps. ; il est victime d’une déliaison