Bataille ou le drame de l'intimité perdue
Inévitablement, l’homme questionne son rapport au monde. Rien n’existe que par celui qui est et pour exister il faut pouvoir s’extirper du monde. Peu importe que le monde soit le fruit d’un Créateur ou non, une certitude demeure. L’homme un jour ne sera plus. Ce point de fuite, cette conscience inéluctable, en même temps qu’elle me terrorise, m’ouvre aux autres, et constitue le moteur de ma pensée et de mes actions. Exister c’est de se sortir du monde pour y plonger à nouveau. Dans l’instant du contact avec ce sentiment obscur qu’est la mort, la mienne, celle de l’autre, jaillit une puissance mystérieuse, celle de la vie poussée comme un cri. Cette expérience, qui me fascine autant qu’elle m’angoisse, c’est celle du sacré. Me perdre alors, glisser, m’extasier, sortir de moi, me déchirer pour m’ouvrir à l’autre, éclater de rire, fondre en larmes. Selon Bataille, c’est sur cette recherche fondamentale et universelle de l’intimité perdue que se fonde le phénomène religieux dans son ensemble.
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L’animalité se rapporte à l’immédiateté, à l’immanence. Tout animal est « dans le monde comme de l’eau à l’intérieur de l’eau »1, semblable à ses semblables, sans différence saisissable. Son existence est posée en deçà de la durée, dans le temps actuel. Rien ne le sépare des autres animaux, aucune hiérarchie : « Le lion n’est pas le roi des animaux : il n’est dans le mouvement des eaux qu’une vague plus haute renversant les autres plus faibles »2. Rien, ni la peur ni la rivalité, ne vient rompre la continuité qui le lie au monde jusqu’à sa propre mort : « Si l’animal qui a terrassé son rival ne saisit pas la mort de l’autre comme le fait un homme ayant la conduite du triomphe, c’est que son rival n’avait pas rompu une continuité que sa mort ne rétablit pas »3. Les organismes vivants (l’animal, comme la plante) se sont pas pour autant autonomes par rapport au reste du monde. Des relations d’immanence se développent entre eux,