Bac celine, voyage au bout de la nuit
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CELINE, VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT (1932) : Cela ne m'apprenait toujours pas si les Allemands étaient entrés dans Noirceur, mais comme je savais que dans ces cas-là, ils mettaient le feu d'habitude, s'ils étaient entrés et s'ils n'y mettaient point le feu tout de suite à la ville, c'est sans doute qu'ils avaient des idées et des projets pas ordinaires. Pas de canon non plus, c'était louche. Mon cheval voulait se coucher lui aussi. Il tirait sur sa bride et cela me fit retourner. Quand je regardai à nouveau du côté de la ville, quelque chose avait changé dans l'aspect du tertre devant moi, pas grand-chose, bien sûr, mais tout de même assez pour que j'appelle. « Hé là ! qui va là ?... » Ce changement dans la disposition de l'ombre avait eu lieu à quelques pas... Ce devait être quelqu'un... « Gueule pas si fort ! que répondit une voix d'homme lourde et enrouée, une voix qui avait l'air bien française. — T'es à la traîne aussi toi ? » qu'il me demande de même. À présent, je pouvais le voir. Un fantassin c'était, avec sa visière bien cassée « à la classe ». Après des années et des années, je me souviens bien encore de ce moment-là, sa silhouette sortant des herbes, comme faisaient des cibles au tir autrefois dans les fêtes, les soldats. Nous nous rapprochions. J'avais mon revolver à la main. J'aurais tiré sans savoir pourquoi, un peu plus. « Écoute, qu'il me demande, tu les as vus, toi ? — Non, mais je viens par ici pour les voir. — T’es du 145° dragons? — Oui, et toi ? — Moi, je suis un réserviste... — Ah ! » que je fis. Ça m'étonnait, un réserviste. Il était le premier réserviste que je rencontrais dans la guerre. On avait toujours été avec des hommes de l'active nous. Je ne voyais pas sa figure, mais sa voix était déjà autre que les nôtres, comme plus triste, donc plus valable que les nôtres. A cause de cela, je ne pouvais m'empêcher d’avoir un peu confiance en lui. C'était un petit quelque chose.