Anthologie poétique
Aime, si tu le veux, je ne l'empesche pas
Aime, si tu le veux, je ne l'empesche pas,
Mais aime pour le moins en homme de courage ;
N'asservis point ton coeur sous un vil esclavage,
Et ne demande point chaque jour le trépas.
La tempeste ne bruit que parmy les lieux bas,
Les monts voisins du Ciel sont pardessus l'orage ;
Quand tu souspirerois pour le plus beau visage,
Tu souspires en fin pour de mortels appas.
Le feu d'amour est fait pour servir, non pour nuire,
Pour reparer le monde et non pour le détruire,
Il doit illuminer, non troubler la raison :
Aime donc sainement, sans fureur et sans crime,
Allume un feu chez toy, mais un feu legitime,
Et qui ne puisse pas embrazer la maison.
* Alfred de VIGNY (1797-1863)
La fille de Jephté
Voilà ce qu'ont chanté les filles d'Israël,
Et leurs pleurs ont coulé sur l'herbe du Carmel :
- Jephté de Galaad a ravagé trois villes ;
Abel ! la flamme a lui sur tes vignes fertiles !
Aroër sous la cendre éteignit ses chansons,
Et Mennith s'est assise en pleurant ses moissons !
Tous les guerriers d'Ammon sont détruits, et leur terre
Du Seigneur notre Dieu reste la tributaire.
Israël est vainqueur, et par ses cris perçants
Reconnaît du Très-Haut les secours tout-puissants.
A l'hymne universel que le désert répète
Se mêle en longs éclats le son de la trompette
Et l'armée, en marchant vers les tours de Maspha,
Leur raconte de loin que Jephté triompha.
Le peuple tout entier tressaille de la fête.
- Mais le sombre vainqueur marche en baissant la tête ;
Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux
Tout à coup il s'arrête, il a fermé ses yeux.
Il a fermé ses yeux, car au loin, de la ville,
Les vierges, en chantant, d'un pas lent et tranquille,
Venaient ; il entrevoit le choeur religieux,
C'est pourquoi, plein de crainte, il a fermé ses yeux.
Il entend le concert qui s'approche et l'honore :
La harpe harmonieuse et le tambour