Annie er
Vous avez ressenti le besoin irrépressible de mettre en mots l'avortement que vous avez subi en janvier 1964. Pourquoi? C'est un événement inoubliable, une véritable épreuve initiatique qui m'a révélé tout à la fois mes rapports avec ma mère, mon pouvoir de reproduction et le fait que j'étais porteuse de vie et de mort. Il m'a fait descendre là où je n'aurais jamais pensé aller, rencontrer des gens, comme cette faiseuse d'anges, dont je ne soupçonnais pas l'existence. Dès 1974, il a servi de cadre à mon premier livre, mais je ne l'avais jamais traité directement. Il y avait alors l'idée que si on racontait ça on allait donner des armes aux anti-IVG.
On a beaucoup écrit sur l'avant et l'après-avortement, mais guère sur l'acte lui-même. Un exercice d'écriture particulièrement douloureux? Ce fut un moment violent. J'ai plongé au fond de ma mémoire, non pas dans la souffrance mais dans l'exaltation. Je me suis dit qu'il fallait passer outre à ces histoires de mauvais goût et d'aiguilles à tricoter, car ce qui a eu lieu doit être écrit. Alors, bien sûr, il y a des passages qui ont été plus durs que d'autres. L'expulsion du fœtus, ou plutôt, comme je le dis, du "petit baigneur", de la "petite poupée indienne", est une scène impressionnante que je n'avais jamais racontée. Mais se taire, c'est taire sa réalité de femme et se ranger sous la domination masculine du monde.
Aujourd'hui, malgré la loi, est-il plus facile d'en parler? Il y a des milliers de femmes qui subissent des IVG: certaines la vivent très bien, d'autres mal. Mais, bien ou mal, on n'en parle pas. La femme reste toute seule face à sa décision. Nous touchons là un domaine essentiel, le sexe de la femme et son pouvoir de reproduction, qui fait toujours peur malgré la biogénétique et son vocabulaire (l'IVG) plus aseptisé, qui éloigne l'image du ventre de la