Amélie nothomb - amélie nothomb
En vérité, j’avais tellement l’habitude que ma mère, présentant ses trois enfants, termine par la plus petite en disant : « Et elle, c’est Patrick », que je la devançais. Ainsi, je portais …afficher plus de contenu…
Je le haïs autant que l’on peut haïr.
Je lus La Métamorphose de Kafka en écarquillant les yeux : c’était mon histoire. L’être transformé en bête, objet d’effroi pour les siens et surtout pour soi-même, son propre corps devenu l’inconnu, l’ennemi.
À l’exemple de Grégoire Samsa, je ne quittai plus ma chambre. J’avais trop peur du dégoût des gens, je redoutais qu’ils m’écrasent. Je vivais dans le fantasme le plus abject : j’avais désormais le physique ordinaire d’une fille de seize ans, ce qui ne devait pas être la vision la plus térébrante de l’univers ; de l’intérieur, je me sentais cancrelat géant, je ne parvenais pas plus à en sortir qu’à sortir. Je ne savais plus dans quel pays j’étais. J’habitais la chambre que je partageais …afficher plus de contenu…
De tous les pays où j’ai vécu, la Belgique est celui que j’ai le moins compris. C’est peut- être cela, être de quelque part : ne pas voir de quoi il s’agit. Sans doute est-ce pour cette raison que j’y commençai à écrire. Ne pas comprendre est un sacré ferment pour l’écriture. Mes romans mettaient en forme une incompréhension qui croissait.
L’anorexie m’avait servi de leçon d’anatomie. Je connaissais ce corps que j’avais décomposé. Il s’agissait à présent de le reconstruire.
Bizarrement, l’écriture y contribua. C’était d’abord un acte physique : il y avait des obstacles à vaincre pour tirer quelque chose de moi.
Cet effort constitua une sorte de tissu qui devint mon corps. » Extrait de: Nothomb, Amélie. « Biographie de la faim. »