Alain Artiste Et Artisan
Dans l'imagination errante tout est promesse, par des émotions sans mesure ; aussi il se peut bien que le sculpteur sans expérience souhaite quelque matière plastique qui change aussi vite que ses propres inspirations. Mais quand il souhaiterait seulement quelque aide du diable, par laquelle le marbre serait taillé aussitôt selon le désir, il se tromperait encore sur sa véritable puissance. Si le pouvoir d'exécuter n'allait pas beaucoup plus loin que le pouvoir de penser ou de rêver, il n'y aurait point d'artistes... Sans doute un des mouvements les plus naturels de l'artiste est d'ajouter un peu à la nature et de finir cette ébauche ; c'est donner à un fantôme la forme d'un objet. Et c'est ce que peuvent remarquer ceux qui sculptent des cannes ; ils cherchent dans les formes de la racine quelque tête d'animal à peine ébauchée ; mais celui qui est habile marche ici prudemment ; chaque parcelle de bois enlevée détermine un peu plus la forme et conduit à un nouvel essai. Ainsi l'artiste observateur décide par l'action inspirée, afin de percevoir quelque chose. En sorte que son modèle c'est d'abord l'objet et ensuite l'œuvre.
Alain, Système des Beaux-Arts.
Texte 2
Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu'une machine bien réglée d'abord ferait l'œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux