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Martine Guyot-Bender
Les Belles Images: „Sottisier“, roman prémonitoire ou récit universel?
Lorsqu’un écrivain – philosophe, romancier ou autre – de la notoriété et de la popularité de celles de Simone de Beauvoir dans les années Soixante déclare, comme celle-ci l’a fait au moment de la publication des Belles Images en 1966,1 que son dernier roman est certainement son œuvre la plus littéraire, on peut s’attendre à ce que ce roman soit plébiscité par le public.2 Cependant, l’écriture n’étant pas une science exacte, personne ne peut prédire l’avenir de tel ou tel livre.
Une fois lancé, le texte, comme toute œuvre d’art, échappe forcément à son auteur. Il devient cette entité indépendante dotée d’une vie propre qui répond plus ou moins aux attentes de différents publics, celui à qui il est consciemment ou non destiné mais aussi aux publics successifs qui le suivront. La portée d’un livre dépend ainsi largement de combinaisons complexes et imprévisibles de goûts personnels, de mentalités ou, pour les livres qui s’inscrivent dans une conjoncture particulière comme ce fut le cas pour Les Belles Images, de réactions à l’actualité; et naturellement, toutes ces combinaisons peuvent changer voire s’inverser au fil du temps.
C’est ainsi que le contexte dans lequel Les Belles Images paraît, douze ans après Les Mandarins,3 le dernier en date des romans de Beauvoir, et après des milliers de pages autobiographiques exposant explicitement l’opinion de l’auteur sur la condition des femmes en Occident, a eu un impact déterminant sur sa réception et son avenir. Curieusement, bien ce quatrième roman soit resté sur la liste des best-sellers durant plusieurs semaines il a rapidement glissé hors de l’œuvre que l’on attribue spontanément à l’auteur du Deuxième Sexe.4 Il n’a depuis fait l’objet que de rares travaux critiques et n’est quasiment jamais cité. Les Belles
Images est sans doute LE roman le moins bien aimé de Simone de Beauvoir.5 Ce destin a quelque chose de surprenant